文獻


Il y eut un temps où tout Paris allait aux Indépendants pour passer une heure de fou-rire.

Les messieurs tiraient leur monocle, braquaient un regard ironique sur les toiles de quelque douanier inconnu et lançaient une de ces rosseries à calembour qui suffisaient alors à lancer son auteur. Quant aux dames, elles s’intéressaient surtout aux « petits modèles », disaient qu’elles n’étaient « pas si jolies que çà » et en tout cas, les trouvaient bien mal attifées.

Ne nous hâtons pas trop de dire que c’était le bon temps pour les imbéciles. Dans vingt ans, nous paraîtrons sans doute aussi ridicules. Puis, convenons que les Indépendants étaient alors bien différents de ce qu’ils sont à présent.

Ils l’étaient, si j’ose ainsi dire, dans le relatif et dans l’absolu.

Dans le relatif, d’abord, parce que, le succès étant encore l’apanage de la peinture d’école, toute présentation d’une œuvre conçue selon les seules règles de l’inspiration paraissait scandaleuse. Depuis, les conditions se sont trouvées renversées. La recherche de la personnalité et même de la nouveauté à tout prix a été le principal souci des artisans de la renommée. Il en résulte que plus rien n’étonne le public, habitué à voir des amateurs qu’il ne connaît pas, acheter à des prix qu’il ne s’explique pas, des tableaux auxquels il ne comprend rien. Il a perdu, en somme, la faculté de se scandaliser. Voilà pourquoi on n’entend plus s’esclaffer aux Indépendants.

Mais il y a autre chose — et je crois que tous ceux qui y iront cette année ne manqueront pas de le remarquer : la peinture, dans l’ensemble, y est redevenue beaucoup plus conforme à l’instructive manière de voir du commun des hommes. En outre, les petites horreurs des peintres du Dimanche sont maintenant beaucoup plus rares.

Ces peintres du Dimanche ! On en a dit tant de mal qu’ils se sont peut-être vexés. Nous leur devons pourtant le douanier Rousseau. Nous leur devons mieux encore. Pour moi, j’avoue ne jamais m’être arrêté dans quelque couloir ou quelque coin mal éclairé, devant l’envoi d’un de ces disgraciés, sans une complexe émotion. Leur maladresse, la minutie de leur travail, parfois leur niaiserie me touchent profondément. Pourquoi peignent-ils ? Sans doute parce qu’eux aussi, ils en éprouvent le besoin. Alors pourquoi n’ont-ils pas de talent ? Ne trouvez-vous pas cela tragique ? Si j’étais le Bon Dieu, je donnerais du talent à tous les peintres.

J’en demande pardon à la grande majorité des exposants, mais j’ai cherché d’abord à retrouver quelques-unes de ces toiles cocasses qui, quoiqu’on en dise, ont fait autrefois plus de bien que de mal aux Indépendants, car ce sont-elles que le public léger d’avant-guerre allait voir et elles ont été la meilleure publicité du nouveau Salon.

A mon grand regret, j’en ai trouvé très peu. J’entends, très peu qui parussent vraiment naïves. Car nous ne sommes pas dupes de la malice de ceux qui prennent des airs innocents. Les vrais peintres du Dimanche peignent maintenant en semaine et font partie des Artistes Français. Quand aux fauves, aux cubistes, aux surréalistes, ils se font de plus en plus rares.

Tout compte fait, plus rien ne distingue, aujourd’hui, les Indépendants des autres expositions dont ils ouvrent la série et qui, l’année durant occupent les salles du Grand Palais. Voilà pourquoi la seule ressource qui s’offre au visiteur résolu à passer en revue les quatre milliers de toiles qui, depuis vendredi dernier, occupent les galeries dédaignées par les Arts Ménagers, c’est d’y chercher tout bonnement celles dont les qualités peuvent lui procurer un plaisir d’art.

Elles abondent. Il y en a de toutes les tendances et de tous les genres. En outre, l’idée excellente qu’ont eu les membres de la Société de donner par scrutin, à un certain nombre d’entre eux, le droit de présenter un ensemble de ces œuvres nous permet, non seulement de fixer nos idées sur les caractéristiques de talents que nous ne connaissions qu’imparfaitement, mais aussi de voir la façon dont les peintres savent, à l’occasion, jouer eux-mêmes le rôle de public.

On pourrait en dire long là-dessus. Contentons-nous de remarquer, qu’en général, ils ne paraissent pas juger autrement que le ferait le public ordinaire, à cela près que celui-ci serait sans doute plus touché qu’eux par l’intérêt du sujet en lui-même, dans les compositions, et par la ressemblance dans les figures. De là, peut-être, la rareté relative des portraitistes et des peintres d’anecdotes chez les élus de ce plébiscite d’un nouveau genre, fort bien imaginé, et qui pourrait amener plus tard une réforme souhaitable du vote des récompenses dans les sociétés à jury.

Qu’on ne crie pas surtout que ce serait faire tomber la république des Arts dans la démagogie : rien de plus aristocratique que d’être jugé par ses pairs.

Parmi ces ensembles dont la plupart occupent tout un côté d’une salle plusieurs sont d’ailleurs formés par les œuvres d’artistes morts. C’est le cas de l’exposition posthume de Mintchine dont l’admirable Marchand d’habits contraste par son réalisme avec les toiles d’un mysticisme un peu étrange qui l’accompagnent. Deux femmes, Mlle Louise Ibels et Mlle Jouclard, obtiennent un vif succès, l’une avec ses illustrations à la Goya, l’autre avec ses scènes de plein air mouvementées et lumineuses. On remarque aussi les ensembles de Charlemagne, d’Yves Brayer et, parmi les sculptures, celui de l’animalier Hernandez, celui de d’Ambrosio dont la préciosité dans la façon de traiter les nus féminins et les enfants permet une bien curieuse comparaison avec les œuvres de Martel, d’un modelé qu’on pourrait appeler du cubisme assoupli. Mais les meilleures œuvres ne sont pas toutes à l’honneur. Les membres du Comité ayant tenu, par un sentiment dont il faut les louer à refuser cette année de poser leur candidature, il en résulte que de grands artistes comme Signac et Luce n’ont pas envoyé plus de deux toiles chacun.

Cela n’empêche pas, d’ailleurs, la foule des connaisseurs de les admirer comme il convient.

Il serait impossible de signaler toutes les bonnes choses et même toutes les très bonnes. Certaines, pourtant, émergent dans les souvenirs laissés par cette visite : Le port de Rouen et Un portrait de Texier, Les paysages parisiens de Ch. Baillet, les premiers envois de Ginette Signac, une Vue de Versailles et Un paysage parisien, de Gaston Pastré, où l’on retrouve l’habituelle finesse de vision et toute la sensibilité de l’illustrateur de Barbey d’Aurevilly, Une plaine et Un quai de Pontoise, de V. Locamus, aquarelles pleines de liberté et de fougue, les pastels de Mlle Lattès, les nus sensuels et précieux du Japonais Micao Kono, les bustes de Takata, les charmants chevaux restés si exotiques du Chinois Sanyu, les pochades d’Adler, les paysages d’Igonnet de Villers et bien d’autres encore...

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